Date de publication : 12/11/23
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Parfois l’OMS annonce la disparition définitive d’une maladie ou d’une épidémie. Mais il arrive que ce constat soit remis en cause par l’apparition d’une de ses nouvelles formes… Ainsi en va-t-il de l’antisémitisme.
Maladie endémique assez insidieuse pour nous laisser croire à sa disparition alors qu’elle se tapit dans le recoin de tous les négationnismes. Ce virus de l’antisémitisme, nous pensions qu’avec tous les pogroms de l’histoire et l’abîme apocalyptique de la shoah, il serait définitivement éradiqué. Mais il résiste, et fait périodiquement de nouvelles mutations et continue d’infecter et de tuer. Nous avions déjà noté depuis quelques temps une montée des actes antisémites en France, mais depuis le 7 octobre le virus flambe et touche de plus en plus de membres de la communauté juive. Ce virus prolifère et tue.
Avez-vous déjà vu le visage ravagé d’une personne atteinte par la lèpre ? Regardez ceux que vous aimez, et imaginez leur visage dévoré par la terrible maladie. Et je regarde le visage de Marianne, et je tremble à l’idée qu’elle soit défigurée par la lèpre de l’antisémitisme. Je ne veux pas qu’elle soit malade, la République ; je ne veux pas qu’elle meure, défigurée et enlaidie parfois par ses propres enfants.
L’histoire de l’Alsace fait qu’elle a sur son sol le Struthof, le seul camp de concentration sur le territoire français. C’est une cicatrice qui doit rester visible pour qu’on se souvienne. Mais qu’on vienne y jeter l’acide de l’antisémitisme pour faire mal et réveiller les vieilles douleurs est inadmissible scandale. Charles de Gaulle l’a dit ici : « Il est en France, des lieux où la conscience nationale parle plus haut qu'ailleurs. D'après une sorte de décret de la nature et de l'histoire, Strasbourg est un de ces lieux-là, pour deux motifs qui s'appellent l'Alsace et le Rhin. » Ce matin nous sommes, je crois, à la hauteur de ce constat du général de Gaulle. Ce sursaut, qui nous fait être ensemble, dans nos différences, n’est-il pas le programme politique, éthique et social à mettre en œuvre ? Les juifs ne doivent plus avoir peur de vivre sur la terre nourricière de la déclaration universelle des droits l’homme et dans la ville des institutions européennes. Nous avons ici l’expérience d’un dialogue interreligieux source non seulement de paix civile, mais aussi moteur d’espérance. Vivre ensemble ne serait-il plus qu’un vague slogan, juste vivre avec les miens et sans les autres ? Ce n’est pas le projet de la République de son école et de ses Universités.
Une des clés de l’éradication de l’antisémitisme est dans l’enseignement de l’école primaire jusqu’aux écoles doctorales. Les préjugés tombent un à un quand on a le courage des faits. Notre collègue Freddy Raphaël a montré que le judaïsme alsacien était particulier en France en raison notamment de sa ruralité, mais aussi par le fait que ces juifs étaient pauvres. Dans cette université on débat et l’on regarde les faits, et ils démolissent tous les préjugés et les a priori.
L’Université de Strasbourg est la seule en France à avoir eu la médaille de la Résistance. Cela nous oblige ! Le 25 novembre nous commémorerons les 80 ans de la rafle qui a tué 85 étudiants et enseignants de notre université repliée à Clermont-Ferrand. Marc Bloch, professeur dans notre université, a lui aussi été victime de la peste nazie antisémite. Écoutons-le : « Je suis Juif, sinon par la religion, que je ne pratique point, non plus que nulle autre, du moins par la naissance. Je n'en tire ni orgueil ni honte, étant, je l'espère, assez bon historien pour n'ignorer point que les prédispositions raciales sont un mythe et la notion même de race pure une absurdité particulièrement flagrante... Je ne revendique jamais mon origine que dans un cas : en face d'un antisémite. »
Le Président de la République, dans la lettre qu’il nous adresse, le dit avec force : « Une France où nos concitoyens juifs ont peur n’est pas la France » Qui peut croire un instant qu’être antisémite sert la cause de la Palestine ? Qui osera dire qu’on peut rendre le monde aimable à nos enfants en affirmant qu’un peuple ou une nation, Israël, doit disparaître de la planète ? Tout ce qui naît sous le soleil a le droit de vivre, même mon ennemi. Un autre professeur de l’Université de Strasbourg Paul Ricœur nous ouvre un chemin politique et éthique quand il définit ce qu’est pour lui une vie humaine : « Une vie bonne, avec et pour autrui dans des institutions justes. »
Notre marche ce matin sera-t-elle une parenthèse, une fois de plus ? Notre sursaut ne doit-il pas être un programme pour les jours à venir ? Nos enfants nous regardent. Le monde du dérèglement climatique les effraie. Faut-il qu’en plus nous leur transmettions nos sales maladies du racisme, de la xénophobie et de l’antisémitisme ? Nous valons tous mieux que cela. Et eux méritent autre chose. De la place de l’Université nous franchirons le pont d’Auvergne pour nous rappeler des Clermontois qui ont accueilli l’université réfugiée. Nous cheminerons ensemble sur l’avenue de la liberté, qui doit être garantie à tout citoyen, pour nous retrouver et place de la République, pour nous retrouver tous, Français et républicains. Résolument, obstinément contre l’antisémitisme et le racisme, farouchement et unanimement pour la République. Nous marchons pour que le visage de Marianne retrouve son beau sourire, pour qu’elle sourie à nos enfants !
Strasbourg, place du palais de l’université . Dimanche 12 novembre 2023.
Michel Deneken, président de l'Université de Strasbourg.